Le tourisme animalier, la triste réalité

Tourisme animalier : la grande illusion

Lors de sa sortie, en 2013, le film documentaire Blackfish (L’Orque tueuse) suscita l’indignation du public américain. À travers l’histoire de Tilikum, un épaulard malheureux de SeaWorld, à Orlando (Floride), il dépeignait la vie misérable que les orques mènent en captivité. Des centaines de milliers de spectateurs outrés signèrent des pétitions. La fréquentation des parcs aquatiques de SeaWorld chuta – et son cours en Bourse avec.


Originaire d’Angleterre, où le dernier parc d’attractions marin a fermé en 1993, James Regan a été révolté par ce qu’il a vu dans Blackfish. Pourtant, il passe sa lune de miel à Hawaii avec son épouse, Katie, et le voici à Dolphin Quest Oahu, un gigantesque aquarium où l’on peut nager avec des dauphins. Les Regan ont payé 225 dollars chacun pour se baigner pendant une demi-heure en petit groupe aux côtés d’un grand dauphin. L’établissement, l’un des deux sites de Dolphin Quest à Hawaii, en abrite six.


Une industrie planétaire repose sur ces animaux. Les structures proposant ce type de prestation utilisent des individus capturés dans la nature puis élevés en captivité, qui vivent (et interagissent avec les touristes) dans des bassins. Si les touristes occidentaux fuient de plus en plus les spectacles impliquant des numéros d’animaux, pour beaucoup, nager avec des dauphins captifs est un rite de passage pour des vacances réussies. C’est le cas pour Katie Regan, qui rêve de cela depuis qu’elle est toute petite.


Or, l’économie du tourisme animalier repose sur une illusion : les visiteurs doivent croire que les animaux qu’ils observent, chevauchent ou nourrissent, moyennant finance, s’amusent tout autant qu’eux. Elle y parvient en grande partie parce que les touristes, plongés dans un environnement étranger et désireux de participer à une expérience positive, n’envisagent en général pas un instant qu’ils puissent contribuer à faire du mal aux animaux.


Les réseaux sociaux ajoutent à la confusion. Américains étreignant des tigres à Chiang Mai, Chinoises en robe de mariée à dos d’éléphanteau dans une piscine à vagues de Phuket, selfies avec des bébés paresseux en Amazonie… Les posts mettant en scène des animaux en captivité se multiplient et les recommandations d’influenceurs ou d’amis légitiment ces attractions.


Au zoo de Phuket (Thaïlande), on peut poser avec un tigre pour 9 euros, comme sur ... Au zoo de Phuket (Thaïlande), on peut poser avec un tigre pour 9 euros, comme sur ces photos-souvenirs exposées sur un panneau. Retenu par une courte chaîne, le félin ne peut pas se redresser. Les tigres ont parfois leurs griffes ôtées, voire sont drogués, pour protéger les visiteurs. PHOTOGRAPHIE DE KIRSTEN LUCE La responsabilité de ces pratiques digitales, dans le maintien, voire le développement de cette illusion, a été en partie reconnue. Ainsi, après une enquête de National Geographic sur les méfaits du tourisme animalier en Amazonie brésilienne et péruvienne, Instagram a introduit une fonctionnalité en décembre 2017 : quand on recherche ou clique sur l’un des multiples mots-clés tels que « #slothselfie [selfie avec un paresseux] » ou bien « #tigercubselfie [selfie avec un bébé tigre] » apparaît désormais une fenêtre avertissant que ce contenu montre un comportement pouvant être néfaste pour les animaux.


Car ce qu’ignorent souvent les touristes prisant ces rencontres, c’est que les tigres adultes peuvent être drogués ou que leurs griffes ont été ôtées – ou même les deux. Par ailleurs, ils ne savent pas que s’il y a toujours des petits tigres à câliner, c’est parce que les félins font l’objet d’un élevage accéléré (les bébés sont arrachés à leur mère quelques jours après la naissance) ; que les éléphants promenant les touristes et effectuant des numéros sans agressivité, ont été « brisés » quand ils étaient petits et ont appris à craindre le crochet du cornac ; et que les paresseux d’Amazonie capturés illégalement dans la forêt meurent souvent quelques semaines ou mois après avoir été placés en captivité.


De leur côté, propriétaires et exploitants d’attractions touristiques axées sur la faune estiment que leurs animaux vivent plus longtemps en captivité qu’à l’état sauvage, car ils sont à l’abri des prédateurs et des dangers de l’environnement. Ils soulignent avec fierté que les animaux dont ils ont la charge sont avec eux pour la vie. Ils font partie de la famille. Mais, en réalité, le tourisme animalier flatte l’amour du public pour la faune, tout en cherchant à optimiser ses profits en exploitant les animaux de leur naissance à leur mort.


Alla Azovtseva est dresseuse de dauphins russe, avec une longue expérience. Elle s’est éprise de ces animaux à la fin des années 1980, après avoir lu un ouvrage de John Lilly, le neuroscientifique américain qui a révolutionné notre compréhension de l’intelligence animale. Elle dresse des mammifères marins à effectuer des numéros depuis trente ans. Ce faisant, il lui est devenu de plus en plus difficile de forcer des créatures hautement intelligentes et sociales à mener des vies solitaires et stériles dans de petits bassins. « Je comparerais la situation des dauphins à un physicien qu’on forcerait à balayer les trottoirs, dit-elle. Quand ils ne sont pas en train de réaliser leurs numéros ou en séance de dressage, ils se bornent à flotter dans l’eau en regardant le fond du bassin. Ils sont profondément déprimés. »


Pire, selon elle, les animaux meurent souvent peu après leur placement en captivité. Elle affirme connaître des aquariums qui remplacent ainsi discrètement et illégalement leurs animaux morts par de nouveaux.


Bonne nouvelle: la demande touristique en matière d’expériences éthiques avec les animaux augmente. Mais c’est un débat brûlant. Reprenons l’exemple des dauphins : même les structures ayant un haut niveau d’exigence, qui salarient des vétérinaires et utilisent des équipements tels que des bassins remplis d’eau de mer filtrée, peuvent-elles se montrer réellement « humaines » envers des mammifères marins ? Oui, répond Rae Stone, de Dolphin Quest. Non, affirment ses détracteurs, dont la Humane Society of the United States, qui désapprouve de garder des dauphins en captivité. Les critiques rappellent que ces animaux sont faits pour nager sur de grandes distances et pour vivre en groupes sociaux complexes – des conditions que les limites d’un bassin confiné ne peuvent pas reproduire.


C’est notamment pourquoi l’Aquarium national de Baltimore a annoncé en 2016 que ses dauphins seraient transférés dans un sanctuaire côtier en 2020. Mais, ailleurs, les dauphins sont encore attrapés dans la nature et transformés en bêtes de cirque. En Chine, dépourvue de loi sur le bien-être des animaux captifs, les delphinariums avec des animaux capturés à l’état sauvage sont en plein boom. On y compte déjà 78 parcs de mammifères marins, et 26 autres sont en construction.

Les méfaits du tourisme animalier

En juin, le magazine National Geographic enquête sur le tourisme animalier. Rencontrer et toucher un animal exotique est une expérience excitante, valorisée sur le Web et les réseaux sociaux. Mais, en coulisses, les animaux mènent souvent des vies misérables.


Ours, éléphant, tigre, dauphin, paresseux … Les réseaux sociaux tels qu’Instagram regorgent de photos de touristes aux côtés d’animaux sauvages captifs. Mais ni ces voyageurs ni leurs abonnés n’imaginent le quotidien de ces bêtes, souvent maltraitées. Nos reporters Natasha Daly et Kirsten Luce nous font découvrir l’envers du décor.


Découvrez aussi notre sujet sur les femmes rangers d’Akashinga, une unité d’élite 100 % féminine qui lutte contre le braconnage au Zimbabwe. Nous nous rendons également dans la mer des Sargasses, en Atlantique Nord. Calamité pour l’industrie touristique, ces algues abritent pourtant une vie marine d’une incroyable variété. Enfin, enquête sur le braconnage du pangolin : convoité pour ses prétendus bienfaits en médecine traditionnelle, il est l’animal qui fait l’objet du plus grand trafic à travers le monde.


Enquêtes inédites et actualités scientifiques vous attendent dans le numéro de juin 2019 du magazine National Geographic.

Dérives du tourisme animalier : les conclusions de notre grande enquête

Dès mon arrivée, j'ai senti qu'Elephant Valley Thailand était un lieu différent. Installé dans une forêt en bordure de Chiang Rai, une petite ville du nord de la Thaïlande, ce domaine était la cinquième attraction dédiée aux éléphants que je visitais dans la semaine. J'avais vu des éléphants frapper des ballons de football ou faire du hula hoop. J'avais observé des touristes monter sur leur dos et se balancer sur leur trompe. Lorsque je jetais un œil dans leurs enclos, ils étaient enchaînés, leurs pattes attachées à des poteaux.


À Elephant Valley, j'ai trouvé la tranquillité. C'était la première fois que je voyais les éléphants à bonne distance. Il y en avait un qui se baignait dans une mare. Un autre qui mangeait au milieu d'un champ. Des barrières en bois entouraient une grande partie des terrains, elles étaient destinées à nous empêcher d'entrer et non pas à les empêcher de sortir, m'indique John Lee, l'un des gérants d'Elephant Valley. Personne n'était autorisé à toucher les animaux. Dans ce parc, les éléphants mènent une vie d'éléphant. (À lire : Pourquoi National Geographic publie une grande enquête sur le tourisme animalier.)


Elephant Valley Thailand « était le sanctuaire le plus responsable que nous ayons visité, » indique ... Elephant Valley Thailand « était le sanctuaire le plus responsable que nous ayons visité, » indique l'auteur Natasha Daly. PHOTOGRAPHIE DE KIRSTEN LUCE, NATIONAL GEOGRAPHIC Elephant Valley Thailand accueille cinq éléphants qui travaillaient auparavant dans des camps pour randonneurs ou dans le secteur de l'exploitation forestière. Cette attraction est en tous points différente de la plupart des autres attractions thaïlandaises mettant en scène des éléphants. Sur les 3 800 éléphants retenus en captivité dans le pays, la majorité vivent dans des camps qui proposent des expériences interactives au plus près des animaux, en permettant par exemple aux visiteurs de les monter, de les baigner ou d'assister à un de leurs numéros. Ces activités attirent une foule de touristes venus du monde entier et s'inscrivent dans un secteur mondial très lucratif qui offre aux visiteurs la possibilité de vivre une expérience unique au plus près des animaux exotiques.


C'est ce qui m'a amené en Thaïlande, un séjour d'un mois dans le cadre d'un reportage pour le magazine National Geographic qui nous a entraînées, la photographe Kirsten Luce et moi-même, sur quatre continents pour un voyage long de plus d'un an et demi. Notre objectif était clair : observer les animaux qui nous divertissent et les touristes à la recherche de ce divertissement. Ces personnes sont comme vous et moi. Je me souviens d'une photo de moi à deux ans, perchée sur un éléphant dans un zoo de Toronto, ma ville natale, au Canada. Il y a huit ans, à l'occasion de ma lune de miel, j'étais allée nager avec des raies Manta au Mexique. Mais sept ans plus tard, alors que je démarrais ce reportage, je me suis retrouvée à observer des touristes donner le biberon à un tigreau contre quelques dollars, et à me demander si quelqu'un s'inquiétait de l'absence de sa mère.


Le sujet est complexe. Tout le monde aime les animaux et naturellement, plus on les approche, mieux c'est, et parallèlement, le désir d'en apprendre plus à leur sujet est bel et bien sincère. Cette volonté d'approcher les animaux est de plus en plus alimentée par les réseaux sociaux sur lesquels les voyageurs peuvent partager leurs expériences en temps réel. Ce que de nombreux touristes ne réalisent pas, c'est que pour rester dans la course, les attractions d'éléphants tout comme les séances photos avec des tigres et la nage avec des raies Manta reposent sur un flot continu d'animaux sauvages forcés à la tâche qui ont tous sans exception été capturés, élevés ou domptés dans le but d'être soumis.


Dans le domaine Elephant Valley Thailand à Chiang Rai, il est demandé aux touristes de rester ... Dans le domaine Elephant Valley Thailand à Chiang Rai, il est demandé aux touristes de rester à bonne distance pour observer les animaux. PHOTOGRAPHIE DE KIRSTEN LUCE, NATIONAL GEOGRAPHIC De plus, il est facile de se tromper en essayant de décrypter les signes de souffrance. Les éléphants en captivité agitent leur queue d'avant en arrière, presque comme s'ils dansaient. En réalité, c'est un signe de détresse psychologique. Les paresseux semblent apprécier les câlins, mais cette étreinte n'est qu'une tentative de s'accrocher à ce qu'ils prennent pour une branche. Les dauphins donnent l'impression de sourire, mais ce n'est que la forme naturelle de leur bouche.


Les voyageurs prennent de plus en plus conscience du manque d'éthique de nombreuses attractions touristiques centrées sur les animaux. Ils sont toujours plus nombreux à boycotter les balades à dos d'éléphants.


Le secteur a remarqué cette tendance. Des dizaines de domaines en Thaïlande se sont autoproclamés « sanctuaires. » Certains ressemblent beaucoup à Elephant Valley et mettent en avant leurs cinq étoiles sur des sites de voyage comme TripAdvisor. Toutefois, Kirsten et moi avons découvert que contrairement à Elephant Valley, ils proposent presque tous aux visiteurs qui le souhaitent de barboter avec des éléphants, dans des rivières ou des bains de boue. Ces séances de baignade sont bien souvent répétées tout au long de la journée et seuls les éléphants dressés se prêtent à ce type d'activité.


Jack Highwood a ouvert Elephant Valley en 2016. D'une superficie de 16 hectares, c'est son deuxième sanctuaire réservé aux éléphants après celui, bien plus grand, qu'il a établi au Cambodge. Pour la Thaïlande, il a opté pour un modèle plus petit en installant des barrières en bois peu coûteuses et une infrastructure minimaliste car il souhaitait qu'il soit le plus facile possible à copier. Plusieurs visiteurs du domaine m'ont parlé de la tranquillité qui régnait à Elephant Valley. Comme si les éléphants n'avaient pas conscience d'où ils étaient.


Au cours de notre voyage à travers le monde, j'ai discuté avec les touristes que je croisais à chaque étape. Dans les restaurants ou dans les hôtels, dans les aquariums ou aux spectacles de singes. Je leur demandais souvent s'ils préféraient s'approcher au plus près d'un animal en captivité ou l'observer d'une certaine distance. La plupart du temps, ils choisissaient la deuxième option. Pourtant, les rencontres avec les animaux en captivité sont extrêmement populaires. Peut-être parce que les visiteurs sont assurés d'apercevoir des animaux. Peut-être parce que les animaux paraissent heureux et qu'il semble que les droits d'entrée profiteront aux employés du parc. Et enfin, le dernier et probablement l'argument le plus convaincant : peut-être parce que vous pourrez prendre une photo aux côtés d'un animal exotique, qui pourra ensuite être publiée sur votre réseau social préféré où vous serez assuré d'obtenir un maximum de « j'aime » et de commentaires.


De l'autre côte de l'océan Pacifique, sur la côte nord d'Oahu, à Hawaï, il y a une plage du nom de Laniakea. Cette plage est également surnommée Turtle Beach (la plage des tortues), car les tortues de mer s'aventurent régulièrement sur le rivage. Elles y choisissent un coin pour dormir quelques heures au soleil. Des volontaires sont présents tous les jours pour éloigner les touristes des animaux. Lorsqu'une tortue sort de l'eau, les volontaires balisent la zone avec une corde afin de donner à la tortue suffisamment d'espace pour se détendre en paix.


Un jour de semaine en septembre, je m'étais assise avec des dizaines de touristes derrière cette corde pour les regarder observer les tortues. Dans la plupart des cas, ils étaient respectueux. Certains ont demandé pourquoi ils ne pouvaient pas toucher les tortues. C'est illégal à Hawaï, leur avaient expliqué les bénévoles, en ajoutant qu'il était important de respecter leur espace. Après tout, c'est aussi leur plage.


Pour la plupart des visiteurs, il est difficile de faire la différence entre les expériences animalières éthiques et problématiques. Les zones d'ombre sont nombreuses. Vous pouvez toutefois suivre ces quelques conseils simples :


  • GARDEZ VOS DISTANCES.
    Préférez les expériences qui proposent d'observer les animaux se livrant à des activités naturelles dans leur environnement naturel.

  • FAITES VOS RECHERCHES.
    Une bonne note sur TripAdvisor ne garantit pas un traitement humain. Attardez-vous sur les commentaires à une ou deux étoiles qui font souvent état de préoccupations vis-à-vis du bien-être des animaux.

  • ATTENTION AUX TERMES À LA MODE.
    Une structure peut employer des termes comme « reversé à la conservation, » « sanctuaire, » et « refuge. » Posez-vous des questions si une infrastructure vous fait toutes ces promesses tout en offrant à de nombreux touristes une expérience très proche des animaux.